Murasama : le forgeron maudit


Lame attribuée à Sengo Murasama
Dans l'univers captivant des sabres japonais, peu de noms suscitent autant de fascination et de mystère que celui de Sengo Muramasa.
Forgeron emblématique du XVIe siècle, Muramasa est à la fois admiré pour son génie artistique et redouté pour les légendes qui entourent ses créations.
Actif dans la province d'Ise (aujourd'hui Mie), il a laissé une empreinte indélébile sur l'histoire du Nihontō et de la culture japonaise.
Une école légendaire : l’école Sengo
Sengo Muramasa est le fondateur de l’école Sengo, l’une des institutions les plus respectées de l’époque Sengoku (XVIe siècle).
Cette école était réputée pour ses sabres alliant une efficacité martiale exceptionnelle et une esthétique rigoureuse.
Contrairement à d’autres écoles, qui privilégiaient des styles symboliques ou décoratifs, l’école Sengo se concentrait sur la puissance meurtrière et la précision de ses lames.
Les sabres Muramasa étaient très recherchés par les samouraïs en quête d’armes fiables et redoutables sur le champ de bataille.
Les élèves de Muramasa partageaient son obsession pour l’excellence, perpétuant son héritage au fil des générations.
Signatures et techniques de forge
Les lames signées Muramasa se distinguent par plusieurs caractéristiques uniques :
• Hamon symétrique : Ce motif de trempe, visible le long du tranchant de la lame, adopte souvent des formes régulières, avec des ondulations ou des vagues harmonieuses.
• Nakago (soie de la lame) : Les lames Muramasa présentent une soie caractéristique, dite Tanagobara-gata, large et aplatie, facilement reconnaissable.
• Gravures spirituelles : Certaines lames étaient ornées de motifs bouddhistes ou d’inscriptions protectrices, conférant à leurs porteurs une dimension spirituelle.
Muramasa signait fièrement ses lames, témoignant de son assurance quant à la qualité exceptionnelle de son travail.

Lame de Tanto signée Muramasa de 37 cm de nagasa

Koshirae école Nara,
avec un Kozuka signé « Toshinaga saku »
La légende des lames maudites
La réputation des sabres Muramasa ne se limite pas à leur efficacité. Une série d’événements tragiques liés à la famille Tokugawa a forgé la légende de ces sabres comme étant des lames maudites (yōtō, 妖刀).
Selon les récits, plusieurs membres de la dynastie Tokugawa ont été blessés ou tués par des lames Muramasa.
Parmi ces épisodes, on raconte que :
• Le grand-père de Tokugawa Ieyasu a été assassiné par une lame Muramasa.
• Tokugawa Ieyasu lui-même a été blessé lors de batailles par une arme portant cette signature.
• Le fils aîné de Ieyasu, Nobuyasu, aurait utilisé un wakizashi signé Muramasa pour commettre le seppuku (suicide rituel).
Ces tragédies ont poussé Ieyasu à interdire ces sabres, créant un climat de méfiance et renforçant leur réputation de lames maudites.
L’interdiction a également encouragé des opposants au shogunat Tokugawa à utiliser les sabres Muramasa comme symboles de rébellion.
Entre mythe et réalité
L’interdiction des sabres Muramasa a paradoxalement alimenté leur popularité.
Ces lames, perçues comme "assoiffées de sang", étaient parfois vues comme porteuses de chance ou de malédictions.
Leur réputation a traversé les siècles, inspirant romans, pièces de théâtre Kabuki, mangas, et films. Aujourd’hui, les sabres Muramasa restent des pièces convoitées par les collectionneurs et exposées dans des musées au Japon et à travers le monde.

Un autre tanto signé Murasama
avec un magnifique hamon très "électrique" !
Origines et influence
Le nom complet de Muramasa, Sengo Muramasa, souligne son rôle de fondateur de l’école Sengo.
Certains textes suggèrent qu’il aurait été l’élève du célèbre Masamune, bien que cette hypothèse demeure incertaine.
D’autres récits mentionnent qu’il aurait porté le titre honorifique de Uemon-no-jō (右衛門尉) à la cour impériale, et qu’il aurait également été moine bouddhiste, utilisant le nom religieux Myōdai.
Muramasa a influencé le style de nombreux forgerons contemporains, notamment dans le cadre du "trio Bungi" de la période Muromachi, qui comprenait également les forgerons Nagayoshi et Yoshisuke.
Ensemble, ces maîtres ont façonné l’évolution du sabre japonais.